dimanche 9 janvier 2011

Film pour une révolution et six percussionnistes

Peut-être se souvient-on encore de "Music for one apartment and six drummers", un morceau en 4 mouvements dont la représentation avait été filmée il y a déjà quelques années (2001 visiblement), et qui montrait des percussionnistes s'emparer l'espace de quelques minutes d'un appartement pour y faire de la musique avec les objets de la vie quotidienne: interrupteurs, brosses à dent, atomiseurs de parfum, verres...
Les percussionnistes viennent de remettre le pied à l'étrier, pour un long-métrage cette fois-ci, qui est sorti fin décembre (un extrait ici). C'est du jamais vu, sorte de polar délirant où des musiciens terroristes tentent de faire d'une ville entière leur instrument de musique. Il n'y avait que des Suédois pour inventer cette sorte de Fight Club pour percussionnistes, tout à fait surréaliste, et en tout cas jouissif, surtout pour les batteurs cela va de soi, mais aussi pour les autres. Si le scénario reste peut-être un peu lâche, qui empêche de considérer le film comme un pur chef-d'œuvre, on ne peut qu'admirer l'inventivité des scénaristes.

jeudi 6 janvier 2011

La cruauté de Webster, la sensualité de Keats

Pour me délasser des missels du Second Empire, et autres choses fascinantes que je dois étudier pour préparer l'exposition Mame à venir à Tours dans bientôt deux mois, j'arrive encore à trouver un peu de temps pour moi. Aussi, les cadeaux de Noël ayant amené Bright Star dans notre maigre collection de dvds, je me suis mis avec ravissement à la lecture de quelques poèmes de Keats. Et notamment à The Eve of St Agnes, décidément très beau, comme peut l'être la poésie romantique, mais, contrairement à celle de Shelley, lente, calme, méditative... et pourtant passionnée en même temps. Surtout, la poésie anglaise est tellement concrète, tellement proche des choses, si peu encline à "faire de l'esprit"...

John Keats par Joseph Severn, 1821-1823, National Portrait Gallery, Londres.

Puis nous sommes allés voir, hier soir, la Duchesse de Malfi de John Webster, dans une traduction d'Anne-Laure Liégeois et Nigel Gearing, et une mise en scène d'Anne-Laure Liégeois. Rarement vu quelque chose d'aussi violent, noir, et en même temps grotesque, voire grand-guignolesque, surtout sur la fin. Nous avions déjà vu une pièce montée par A-L Liégeois: il s'agissait d'Edouard II de Christopher Marlowe, un dramaturge de la même veine : époque shakespearienne, théâtre jacobéen sulfureux où les scènes de violence se disputent celles de sexe, de malédictions et d'imprécations contre le destin.
Sauf que la trame historique, chez Webster, disparaît au profit d'un excès baroque assez stupéfiant, qui confine parfois au délire, comme dans cette scène où, pour la consoler de l'avoir enfermée dans une tour, un frère propose à sa sœur la duchesse de lui faire assister à un spectacle de fous racontant tous, simplement vêtus d'une chemise, des absurdités que n'auraient pas reniées un Rabelais ou un Lucien.

La Duchesse de Malfi de Webster, mis en scène par A-L Liégeois. Cliché Christophe Raynaud De Lage.

Et tout ça écrit au XVIIe siècle, dans ce XVIIe siècle synonyme pour nous, en France, de classicisme et de rationalité... Ne nous étonnons pas en tout cas que le roman noir soit né en Angleterre, à l'époque où les Lumières, en France, battaient leur plein. L'opposition de Shakespeare et de Racine est vieille comme les études littéraires, mais celle entre le grotesque noir et délirant de Webster et le comique bien sage de Molière laisse à réfléchir... Mais comment se fait-il, décidément, que les Anglais soient aussi doués en littérature? J'essaierai d'y repenser en retournant à mes livres illustrés catholiques pour la jeunesse du XIXe siècle...

La Duchesse de Malfi de Webster, mis en scène par A-L Liégeois. Cliché Christophe Raynaud De Lage.