vendredi 28 août 2009

Les expos que je n'ai pas pu voir cet été

Mais que je conseille fortement d'aller voir si l'occasion vous en est donnée.

Au premier chef, Max Ernst à Orsay. Je regrette vraiment de n'avoir pu faire un saut à Paris cet été pour cette exposition consacrée aux superbes collages de cet artiste surréaliste, qui réutilise l'imagerie populaire du XIXe siècle dans des compositions tout à fait saugrenues et riches de sens. Je crois que j'en serai réduit à consulter l'excellent ouvrage de Werner Spies sur le sujet.


Ensuite, en Normandie, un ensemble d'expositions sur la Normandie pittoresque. La notion esthétique de pittoresque a été inventée au cours du XVIIIe siècle, et a connu ses plus belles applications à l'époque romantique, notamment avec le monument lithographique du baron Taylor, la série de livres illustrés Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France.
Trois expositions, à Rouen, au Havre, à Caen, sont consacrées respectivement à la Normandie romantique (celle qui m'intéresse personnellement le plus), à la Normandie monumentale (consacrée au livre illustré d'héliogravures d'A. G. Lemâle, La Normandie pittoresque et monumentale, à la fin du XIXe) et à la Normandie contemporaine (sélection de photos du XXe siècle), explorant à travers le fil directeur du pittoresque la représentation, en gravures et en photographies, de la Normandie durant deux siècles.

Enfin, à Londres... Waterhouse à la Royal Academy, ainsi qu'une exposition de design contemporain sur le thème des contes de fées et de la fantasy au V&A, que j'aurais aimé voir histoire de m'amuser si j'étais allé à Londres. Mais voilà, on n'a pas toujours le temps et les finances dont on aurait envie.

vendredi 21 août 2009

Emerson, Woodnotes

Ralph Waldo Emerson


Dans la foulée, quelques vers de la traduction, par la même, d'un poème de Ralph Waldo Emerson, parue récemment (juin) dans le n°2 de la revue MIR, éditée par les éditions Ikko.



Ce paysan rêveur était assis, humble,
Auprès des eaux de la forêt ;
Les racines enchevêtrées du pin
Formaient les entrelacs de son trône ;
Le vaste lac, frangé de sable et d’herbes,
Était poli comme un verre
Coloré par les ombres vertes et majestueuses
De l’arbre et de la nue.




(c'est moi qui souligne)

Browning et la terre gaste

Je parlais dernièrement de l'Anneau et le livre de Browning, récemment paru aux éditions le Bruit du temps. La traduction par Charlotte d'un poème (Childe Roland at the Dark Tower Came) du même écrivain vient d'être publiée sur le site de la revue électronique Retors, animée par Sarah Cillaire. Réinterprétation romantique du thème merveilleux de la terre gaste, ce poème est aussi un parfait exemple de réécriture moderne d'un motif médiéval, celui du chevalier qui erre en quête de la Tour Sombre.

Robert Browning (1812-1889)


C'est surtout un très beau poème sur le désenchantement, qui me rappelle, dans un registre et une forme complètement différents, La Route de Cormac McCarthy, que j'ai lu très récemment sur les conseils d'une amie, Julia, et qui m'a considérablement bouleversé.

IX

Ecoutez-moi ! Je ne m'étais pas plus tôt
Engagé par la plaine que je fis halte,
Après un pas ou deux, pour jeter un dernier regard
Sur la grand route : le néant ; autour de moi une grise plaine :
Rien qu'une étendue grise, à perte de vue.
Autant aller de l'avant, n'ayant guère d'autre choix.

samedi 8 août 2009

Un été victorien

Après avoir parcouru le premier tome du Pacte avec le Serpent de Mario Praz, qui concerne le roman noir, Poe et les Préraphaélites (à ce propos, un superbe site de ressources iconographiques concernant ces derniers hébergé par le musée de Birmingham, merci à la Morris Society pour le lien), je me suis lancé dans une lecture de vacances. Le genre de gros pavé qu'on emporte sur la plage : Possession, d'Antonia Susan Byatt. Ce roman raconte l'histoire d'un jeune universitaire qui travaille sur un poète victorien du nom de Randolph Henry Ash, et qui lui découvre une correspondance, puis une liaison restée secrète avec une poétesse du nom de Christabel LaMotte, dont l'oeuvre n'avait a priori, dans l'histoire littéraire, jamais été rapprochée de celle d'Ash. S'ensuit une longue enquête, au milieu de conflits idéologiques et politiques entre universitaires, pour savoir qui aura le premier accès aux informations concernant le lien entre les deux poètes.

Le livre s'apparente donc tout à fait à un livre pour universitaires, fourmillant d'allusions érudites à la littérature et la civilisation victorienne (les thèmes merveilleux comme celui de Mélusine ou de la ville d'Ys, la fascination pour l'histoire naturelle héritée des romantiques et de Darwin, les tables tournantes des cercles spirites...), et surtout dépeignant, avec souvent beaucoup d'humour, certains travers des chercheurs en littérature. On trouve en effet différents portraits d'universitaires assez drôles, comme celui du vieux professeur anglais, Blackadder, partisan de l'érudition philologique à l'ancienne, celui de Leonora Stern, ancienne hippie partisane de la critique lesbiano-féministe, ou encore Mortimer Cropper, un collectionneur prêt à tout pour obtenir un bouton de chemise de Randolph Henry Ash.

Mais plus qu'un roman universitaire qui traite de la manière dont les universitaires traitent la littérature, c'est aussi un roman sur la littérature elle-même, et la poésie en particulier, qui traite de la manière dont elle nous captive, et dont elle finit par s'emparer de nos vies. Le personnage principal, le jeune Roland Michell, apprendra surtout, dans cette enquête, à acquérir son propre langage, et à voir le monde autrement. C'est un roman d'apprentissage (et de libération) en même temps qu'un roman policier.

Un des aspects le plus fascinant de ce roman est la virtuosité avec laquelle Byatt s'empare des topos de la littérature victorienne, et jalonne son récit de poèmes, de contes, de journaux intimes et de correspondances amoureuses plus vraies que nature. Ash et LaMotte sont deux auteurs fictifs, mais leurs écrits semblent tout droit descendre, pour l'un de Wordsworth et de Tennyson, pour l'autre peut-être de Dickinson et de Violet Hunt. Byatt est une ancienne universitaire, et cela se ressent dans la manière dont elle a choisi tant son sujet que sa manière de l'aborder. La construction est très postmoderne, avec tout un jeu de montage de textes qui ménage des échos symboliques entre l'histoire de Roland Michell et celle des deux poètes victoriens. Le récit, du fait de ces multiples textes enchâssés "à la manière de", constitue un véritable exercice d'écriture, et si Byatt ne manifeste pas toujours, par cet exercice de pastiche permanent, de voix véritablement personnelle, force est de reconnaître l'intelligence profonde de ce roman, excellement construit, et qui donne à la fois le goût de la littérature et celui... de la vie. Je doute, en revanche, qu'il donne le goût de la recherche universitaire, autrement que sous la forme, bien idéale malheureusement, de la fascination qu'entraîne le jeu de l'enquête policière autour de l'histoire d'Ash et de LaMotte.