Mais d'autre part, et de manière plus profonde, la reprise d'une icône de la contre-culture est aussi l'occasion d'établir un lien symbolique important avec l'œuvre première, celui de l'altérité. Si une constante de la recherche musicale de Meshuggah est la recherche de la dissymétrie rythmique, une constante de son univers symbolique, perceptible dans son imagerie mais surtout dans les paroles des morceaux rédigées par Tomas Haake, le batteur du groupe, est la schizophrénie. Le nom du groupe même, “meshuggah” qui signifie “fou” en yiddish, témoigne de l'intérêt du groupe pour la déréliction des mécanismes de la psyché humaine. Cliniquement, la schizophrénie est généralement définie comme une désagrégation de la personnalité, de la psyché humaine qui, en état normal, fonctionne de manière relativement unitaire, ce qui permet à l'individu de se construire et de maintenir son identité psychique. La schizophrénie, donc, sans être un équivalent à proprement parler d'un “dédoublement de personnalité”, introduit en tout cas la multiplicité là où il y avait unité, elle désagrège et fragmente ce qui était un. Ce qui fait que l'un devient étranger à lui-même, il se confronte à sa propre altérité. Un des symptômes généralement invoqués pour caractériser l'état schizophrène est la sensation d'être étranger à son propre corps.
(Meshuggah, “Concatenation”, in Chaosphere, 1998)
On assiste donc, à travers ce qui pourrait sembler une simple citation culturelle destinée à mieux “cibler” la clientèle d'un point de vue marketing, à une réappropriation d'un symbole, qui s'effectue selon la modalité d'une intériorisation de ce que représentait la race de l'Alien: l'autre de l'homme. L'autre extérieur à l'homme, l'autre race, devient l'étranger intérieur à l'homme même. La peur se mue en folie. Meshuggah psychologise ce qui était en 1979 vécu sur le mode du récit semi-fantastique, semi-épique, avec toutes les résonances post-coloniales que l'on peut y trouver. Avec Meshuggah, l'alien devient aliéné, l'œuf extra-humain de Ridley Scott devient le fou hurlant d'une humanité qui se cherche en elle-même mais ne se trouve pas.