lundi 28 janvier 2008

Peur(s) du Noir

Une splendide série de courts-métrages d'animation sort dans les salles le 13 février. Tous les films ont pour lien la peur du noir, et la réalisation graphique a été confiée à d'excellents dessinateurs de BD indépendante (Charles Burns, Blutch) et d'albums (Lorenzo Mattotti), de typographes (Pierre di Sciullo) et autres graphistes polyvalents (Marie Caillou, Richard McGuire). Un site est consacré à ce qui promet d'être un excellent concentré d'angoisses et d'inventions visuelles.
Le film se présente à la fois comme une série de court-métrages (avec graphistes et scénaristes distincts pour chaque histoire), et comme un long-métrage qui entrelace les différents récits. Le tout étant placé sous la direction artistique d'Etienne Robial, l'un des co-fondateurs de Futuropolis dont nous avons déjà très rapidement parlé.

On dirait que le long métrage d'animation se permet des libertés du point de vue graphique depuis quelque temps. Je pense à Persépolis (2007) bien sûr, mais aussi à Renaissance (2006), que je n'ai pas vu, mais qui d'un point de vue purement graphique avait l'air assez ambitieux (le scénario semble en revanche plus conventionnel).
Surtout, le retour au noir et blanc me paraît être le symptôme d'une volonté d'expérimentation graphique, et de donner une aura de "sérieux" au medium utilisé. La maison d'édition L'Association s'est bâtie durant les années 1990 une réputation de "bande dessinée d'auteur" en revenant au noir et blanc : le noir et blanc est en France, au moins depuis Futuropolis, synonyme d'exigence graphique, voire d'élitisme puisqu'il permet à la bande dessinée dite "indépendante" de trouver ses marques par rapport au reste de la production en couleur.

Assisterait-on à un phénomène similaire ces temps derniers avec le film d'animation? Si ce genre de films permet de véhiculer l'idée que les fims d'animation ne sont pas intrinsèquement destinés aux enfants, de la même manière que L'Association a considérablement redoré le blason de la BD adulte au cours des années 1990, je suis pour.

ObZen

Le prochain album de Meshuggah sort le 7 mars prochain! Une liste des morceaux est déjà disponible, ainsi que la couverture de l'album, que je trouve bien moins convaincante que les précédentes qui restaient assez abstraites, et donc assez proches, je trouve, du style hermétique de ce groupe de death métal un brin schizophrénique.

On remarquera que le groupe a conservé la technique de l'image numérique (c'est Tomas Haake, le batteur, qui s'occupe habituellement des couvertures et de la plupart des paroles), mais qu'il a abandonné la composition ultra symétrique et "rayonnante" à partir du centre du format carré, qui caractérisait les trois précédents albums. En comparaison, je trouve la couverture du prochain album assez anecdotique... J'espère que la musique ne suivra pas cette voie.

Par ailleurs, j'ai appris, d'une source non officielle mais assez sûre, que Gojira devrait sortir son prochain album courant septembre, et qu'une courte tournée française était prévue à cette occasion (en septembre donc). Mais bon, visiblement le groupe n'a pas encore commencé à enregister, même si l'enregistrement est prévu au cours des mois qui viennent.

Enfin, dans un autre registre musical, un concert de Einstürzende Neubauten est prévu le 12 mai au Bataclan. J'espère pouvoir me libérer pour y aller...

MàJ du 03-02:
Un morceau du nouvel album de Meshuggah a été publié officiellement, Bleed, et on peut voir sur la quasi-vidéo (suivez le lien) la composition générale d'où a été extrait le détail ci-dessus. A quoi ressemblera la couverture finale? A suivre dans le mois qui vient. D'autre part, comme je le soupçonnais, la couverture n'est plus de Tomas Haake, mais d'un artiste engagé pour l'occasion, Joachim Luetke, ce qui explique le changement profond de style. Contrairement à ce qu'on pourrait penser au départ, la couverture d'Obzen n'est pas purement numérique, mais a été composée à partir d'une photographie.
Les autres morceaux de l'album ont été piratés et sont disponibles sur le net. J'encourage les amateurs à aller les découvrir, tant que ça ne les empêche pas d'acheter l'album au moment de sa sortie.

MàJ du 03-03: la couverture finale du CD reprend, ça me rassure, le parti de la symétrie et de la centralité de la composition. Le détail asymétrique de la tête avec la main ensanglantée, reportés sur la droite, orne le vinyl.

mardi 22 janvier 2008

Les ombres du foyer

Le dernier numéro de La Grande Oreille vient de sortir. Le thème du dossier est le feu, et l'auteur de ce blog y a apporté une modeste contribution, sous la forme d'un article intitulé "Les ombres du foyer".
Où l'on a essayé de montrer, à travers des illustrations de Cruikshank et de Rackham, ou bien encore la mise en scène de la série télévisée Monstres et Merveilles de Jim Henson (The Storyteller en v.o.), comment les artistes se sont emparé de la scène imaginaire de la veillée au coin du feu, pour élaborer un captivant spectacle d'ombres et de lumières.

Ci-dessous une illustration d'Arthur Rackham pour Rip van Winckle (1905 si ma mémoire est bonne).

D'autres articles de ce numéro ont bien sûr l'air passionnant, mais je n'ai pas encore eu le temps de les lire, je viens juste de recevoir mon exemplaire... un article sur Cendrillon et les vestales, un autre sur le souffle du dragon par Claude Lecouteux, une rapide synthèse sur la mythologie islandaise du feu par Régis Boyer, etc. Bonne lecture.

lundi 21 janvier 2008

Serpents irlandais

En lisant l'Histoire Ecclésiastique du Peuple Anglais de Bède le Vénérable, on apprend que l'Irlande est un pays proche du paradis terrestre, abondant, clément et sans dangers aucuns. Un vrai pays de cocagne (I, 1):

En largeur, salubrité et douceur de climat, l'Irlande dépasse infiniment la Bretagne. La neige la couvre à peine trois jours par an: personne ne fait les foins en été pour constituer les réserves d'hiver, ni ne bâtit d'étables pour ses bêtes de trait. On n'y trouve aucune bête rampante, et même aucun serpent n'y pourrait vivre. En effet, souvent des serpents y sont emportés par bateau de Bretagne [de Grande-Bretagne], mais, dès que les bâtiments s'approchent des côtes et que leur parvient l'odeur de la terre, ces serpents meurent aussitôt. Plus encore, tout produit en provenance de l'île est d'une grande efficacité contre le poison. Nous avons même vu de nos yeux que, lorsque des personnes étaient mordues par des serpents, il suffisait de gratter quelques feuilles d'arbres en provenance d'Irlande, de les plonger dans l'eau et de les donner à boire, pour extraire aussitôt le poison et réduire la tumescence.

Tiens! Mince alors! Je croyais que c'était Saint Patrick qui, en christianisant l'Irlande, avait mis tous les serpents dehors! Le serpent symbole de Satan, bien sûr, qui est évacué au cours de la christianisation... mais non, Bède me dit que quand Patrick est arrivé, il n'y avait de toute façon pas de serpents, parce qu'il n'y a jamais eu de serpents en Irlande.
Qui croire, Bède ou la légende de Saint Patrick? J'ai du mal à trouver l'origine exacte de la légende, il faudrait je suppose faire de plus amples recherches. Mais confronter un texte et un autre ne nous aidera pas à dire si une légende est plus vraie qu'une autre. De toute façon c'est Bède qui a raison: il n'y a jamais eu de serpents en Irlande, pour des raisons de migration des espèces et d'évolution climatique, semble-t-il.

Du coup, sans même essayer de montrer que le témoignage de Bède viendrait avant celui de la légende de Saint Patrick, on peut arguer que la légende de l'historien anglais est antérieure à celle du patron de l'Irlande. L'antériorité d'un écrit sur l'autre ne changerait rien de toute façon: cela reste des écrits, alors que les légendes sont d'abord orales avant que d'être retranscrites par les moines. Et de même que le paganisme précède le christianisme en terre d'Irlande, on peut supposer que la superstition païenne d'une Irlande "terre d'abondance" précède celle de la christianisation symbolique de l'île par un saint évangélisateur. On retrouverait ainsi une vieille légende païenne sous la plume de Bède le Vénérable, qui par ailleurs nous explique ensuite comment on fait, justement, pour imposer le christianisme.

Mais pas n'importe quel christianisme. Il est remarquable que Bède ne parle jamais de Saint Patrick dans son Histoire. Certes, son propos est davantage centré sur le pays des angles que sur celui des "scots", l'Irlande. Mais les seules pages où il décrit le christianisme celtique que fonde Saint Patrick en Irlande au cours du Ve siècle, c'est pour dénoncer l'hérésie pélagienne.
A l'époque de Bède, la principale préoccupation des moines anglais est de défendre la suprématie du christianisme romain. Christianisme romain qui a triomphé du christianisme celtique en Northumbrie, comme on l'a vu dans les commentaires du dernier billet sur le sujet, au cours du synode de Witby. Du coup, Bède passe quasiment sous silence le christianisme celtique ou christianisme irlandais, parce que de toute façon pour lui la vraie foi c'est celle professée par Rome. Et du coup, il passe également sous silence les efforts de Saint Patrick: la seule évangélisation valable est celle des romains, sous la houlette de Saint Augustin de Canterbury, envoyé du pape Grégoire. En tout cas c'est ce que j'ai cru déduire des différents éléments en ma possession.

Du coup, on peut même supposer que la légende de Saint Patrick existait à l'époque de Bède, mais qu'il l'a évacuée avec le reste du folklore du christianisme celtique. Cela voudrait dire qu'il aurait substitué une légende païenne à une légende chrétienne? Bizarre pour un homme d'église... Mais peut-être pas si bizarre que ça, après tout: la signification chrétienne d'une terre sans serpents (id est sans Satan) est conservée, mais d'une autre manière. Là où Saint Patrick évangélise activement en débarrassant l'Irlande de ses serpents, Bède fait de l'Irlande une terre bénie de Dieu, où l'absence de serpents la prédestine à accueillir la bonne parole catholique et romaine.
Paradoxe de l'histoire (et pure hypothèse de ma part, sans autres éléments historiques à mettre dans le dossier), Bède aurait utilisé une superstition d'idolâtre pour combattre une légende chrétienne: il aurait repris une légende païenne pour remplacer une hérésie chrétienne. Car mieux vaut, dans l'esprit de Bède, décrire une irlande païenne prédestinée au christianisme, que de rapporter l'existence d'une mauvaise christianisation.

Histoire de la bande dessinée

Aujourd'hui et les prochains jours, à l'occasion du Festival d'Angoulême, une histoire de la bande dessinée est à écouter et/ou à podcaster à France Culture, de 9h05 à 10h, dans l'émission La fabrique de l'histoire d'Emmanuel Laurentin. La première émission concerne futuropolis, une maison d'édition française des années 1970 et 1980.

jeudi 17 janvier 2008

Comment savoir si l'on a péché?

En ce moment, je lis pour mes loisirs (je sais, ça peut paraître un peu étrange comme lecture, à côté d'Harry Potter) l'Histoire Ecclésiastique du Peuple Anglais de Bède le Vénérable, qui est la toute première histoire de l'Angleterre à être écrite, au tout début du VIIIe siècle.

Bède y raconte comment l'île de Bretagne fut investie par les bretons, qui furent tour à tour envahis par les pictes, les scots, les romains, les angles et les saxons. Surtout, il veut raconter l'histoire de l'évangélisation de la Bretagne, et comment Saint Augustin (pas lui, l'autre) s'y prend pour extirper le péché de ces méchants idolâtres que sont les Angles.
Le Pape Grégoire écrit ainsi à Augustin, évèque de Canterbury, pour répondre à une question que celui-ci s'était posée à propos des péchés commis dans les rêves (I, XXVII):

Nous devons nous demander si cette pensée n'était rien d'autre qu'une suggestion, la recherche d'une jouissance, ou, ce qui est plus criminel encore, un consentement au péché. Car tout péché s'accomplit de trois manières: par voie de suggestion, par délectation et par consentement. C'est le diable qui instille la suggestion; la délectation naît de la chair; et le consentement, de l'esprit. Le serpent a suggéré la première faute; Eve, comme si elle était la chair, a été charmée; mais Adam, comme s'il était l'intelligence, a consenti. Cependant, l'esprit doit faire appel à un grand discernement pour juger s'il s'agit de suggestion ou de délectation, de délectation ou de consentement. En effet, si le démon suggère un péché à l'intelligence et qu'il ne s'ensuive aucune délectation, alors il n'y a pas eu de péché. Mais quand la chair commence à s'en délecter, alors le péché commence à sourdre; mais si elle y consent délibérément, alors on doit tenir le péché pour accompli.

La source du péché est donc dans la suggestion, la croissance du péché se fait par délectation, et le péché s'avère dans le consentement. Il arrive souvent que le mal semé par le démon dans la pensée, la chair l'attire vers la délectation, à laquelle l'âme cependant ne consent pas. Et quoique la chair ne puisse pas se délecter sans l'accord de l'esprit, cependant l'esprit qui lutte contre le plaisir de la chair est, d'une certaine mesure, assujetti contre son gré au plaisir de la chair, de telle sorte qu'il s'y oppose de toute sa raison, de peur d'y céder; et cependant, le fait d'y être soumis avec délice le fait gémir de douleur à cause de son lien.

Les flagellants illustrent bien (ils arrivent bien plus tard, au XIe siècle semble-t-il) cette lutte d'une partie de l'homme contre soi-même, cette liberté de l'esprit qui ne consent pas au péché, et qui essaye tant bien que mal de sortir des rets du plaisir de la chair, en la punissant par d'autres rets, ceux de la souffrance. Merci Saint Paul...

Je me demande si le stade de la chair ne peut pas être "sauté", et si on ne peut pas passer directement de la suggestion diabolique au consentement intellectuel. Qu'en penserait Grégoire? Il dirait bien sûr que ce n'est pas possible, que l'esprit ne peut consentir à des chaînes qui ne sont pas ressenties. Mais il ne semble pas tenir compte de la possibilité d'une délectation intellectuelle... Après tout, la suggestion diabolique ne se fait-elle pas au niveau des pensées? C'est ce que l'on appelle aujourd'hui un fantasme, mais ce concept est un peu en dehors du cadre intellectuel de Grégoire et de Bède.

En tout cas, ce que dit Grégoire devrait vous rassurer: tant qu'on n'a pas vécu le péché dans la chair, on est tranquille, on peut continuer à rêver de ce que l'on veut sans que péché soit véritablement avéré. Méfiez-vous de vos songes, cependant, ils peuvent contenir des suggestions malencontreuses. Vous êtes prévenus!

vendredi 11 janvier 2008

Les voies du tao

Je viens de lire un excellent article d'un ami qui s'est expatrié pour une durée indéterminée en Chine. Ce article, disponible sur le net, concerne la philosophie taoïste. Je le trouve très bien écrit, malgré quelques fautes qui visiblement ne sont pas de lui, mais de la rédaction du magazine: vous les excuserez donc.

Ci-dessous le mont Fuji par Hokusai (xylographie, 1823-1829).
Je sais, c'est japonais et pas chinois, mais bon, le symbolisme de la montagne associé à la forme courbe de la vague qui rappelle le symbole du yin-yang me semble approprié à ce qui est développé dans l'article.

jeudi 10 janvier 2008

Bibliothèques en feu

Un récent billet de Pierre Assouline m'a amené à découvrir une réalité particulièrement alarmante: on brûle des bibliothèques en France. En banlieue "bien sûr", et pas pour des raisons d'obscurantisme religieux, comme cet été avec l'affaire Pascal Quignard.
Et pourquoi, alors que la bibliothèque est l'un des rares lieux publics d'accès gratuit où la discrimination est en principe absente? Car bien qu'un visage inoffensif, la bibliothèque présente encore un visage, celui de l'institution et de l'Etat, de l'autorité qu'on regarde avec méfiance dès lors qu'elle n'intervient pas directement sur le bien-être matériel de l'individu. Ce rejet des bibliothèques coïncide également, au moins partiellement je pense, à un rejet vis-à-vis de la culture de l'écrit, qui semble d'autant plus étrangère aux adolescents qu'ils savent de moins en moins bien lire, et que la lecture est devenue une activité marginale, qui passe après le désir d'un travail, d'une voiture et d'une télévision.
Non que la population des banlieues soit contre la culture écrite, il n'y a pas d'obscurantisme de classe, c'est plus compliqué que ça. Mais elle est en attente d'autre chose de la part de l'institution. La situation est à l'image de la bibliothèque d'Alexandrie: on ne sait pas exactement pourquoi la bibliothèque a brûlé, mais on se bat pour que ça ne recommence pas.

samedi 5 janvier 2008

Réveillon bucolique

Bonne année 2008 à tous.

Personnellement, j'ai réveillonné dans la Creuse, sur le Plateau de Millevaches. Ci-dessous, une photographie de la Chapelle du Rat, dans une atmosphère très friedrichienne, à la tombée de la nuit.J'étais accompagné de Cha, du 4e tome d'Harry Potter et du Cahier de Verdure de Philippe Jaccottet. Difficile de ne pas partager ces quelques vers aux allures de haïku développé, trouvés dans la section "Fragments soulevés par le vent":

"Nouvelle année.

Est-ce mon père, au portail du jardin,
qui tire la sonnette couverte de neige?

La grande maison brille,
pleine de cadeaux et de robes."


Par ailleurs, je signale la publication très prochaine, courant janvier, de ce qui semble un excellent essai littéraire autour du personnage de Merlin, par Yves Vadé. Chez Corti, bien évidemment...